Un destin digne d’un roman

Un destin digne d’un roman

Concierge à Chavannes-près-Renens, Martin Santos est aussi écrivain. Il vient de publier deux nouveaux livres au Portugal

 

A l’heure où vous lisez ce texte, Martin Santos est au Portugal pour la promotion de son nouveau roman «A voz que não ouvi» (la voix n’a pas entendu) et un recueil de poésie «ReflexõesRimadas» (réflexions en rimes). Le premier parle d’amour au temps de la dictature portugaise, le deuxième permet àl’écrivain de réunir ses réflexions philosophiques qui le traversent lorsqu’il tond le gazon ou répond aux sollicitations des locataires des trois immeubles de Chavannes-près-Renens dont il a la charge.

Concierge depuis une dizaine d’années, il aime surtout se sentir utile et être en contact avec les gens. Il trouve aussi quelques plaisirs à retrouver son premier métier lors de réparations électriques, et avoue que cette fonction a aussi l’avantage de le laisser penser librement… Et c’est une fois le soir venu et les week-ends, qu’il s’assied face à l’écran pour écrire. Une passion tardive et une vocation improbable à l’entendre parler de sa vie, matière première de son premier roman: «Esplendor no horizonte». «Cela signifie que derrière les nuages, il y a la clarté. J’ai vécu tellement de misères, mais je m’en suis sorti…», explique Martin Santos qui semble étonné lui-même de son parcours hors du commun.

 

De la misère à l’émigration

 

Tout commence dans un petit village de paysans, Pousadas Vedras. Martin Santos n’a que 7 mois lorsque son père décède. Sa mère, handicapée, l’élèvera seule lui et ses deux sœurs. «Elle ne pouvait pratiquement pas bouger ni les bras ni les mains, et pourtant elle travaillait la terre.Je ne sais pas comment… Nous étions les misérables du village», se remémore Martin Santos.

Employé agricole à 11 ans,«avec le soleil pour seule montre», c’est notamment à la faveur d’un déménagement dans la ville de Cartaxo, proche de Lisbonne, qu’il reprendra ses études. Il a alors 17 ans, et rencontre sa future épouse. «J’avais un tel complexe d’infériorité que je n’arrivais pas à lui déclarer ma flamme. J’ai donc recopié des lettres d’amour qu’avaient reçu mes sœurs. Si l’on m’avait dit à l’époque que j’allais écrire des livres, j’aurais bien ri», raconte-t-il. Autre ironie de son destin : il fera des études en électrotechnique, sans avoirjamais eu d’électricité chez lui.

Employé de l’Etat, il pense à émigrer puis décide de rester au pays après s’être mis à son compte. Or, c’était sans compter le contrat de travail qu’un ami lui a entre-temps trouvé dans un hôtel de Grindelwald. Après moultes réflexions et des pleurs, Martin Santos et son épouseacceptent.Mais avec l’idée de ne rester en Suisse que quelques mois, car ses deux fils n’ont alors que 1 et 3 ans et sont pris en charge par les grands-parents. «Je ne crois pas que je pourrais le refaire. De vivre loin d’eux, c’était à la limite du supportable», raconte Martin Santos.Arrivés le 29 février 1980, les débuts sontpénibles. «Je détestais la Suisse. Je ne savais pas un mot d’allemand. Et marcher dans la neige me paraissait une entrave à ma liberté.» Martin Santos est doublement ligoté.«Mon patron m’appelait «esclave». Il ne me frappait pas, me payait un petit salaire, mais il était vraiment raciste… »

 

Naissance d’une vocation

 

Après 9 mois, sous contrat de saisonnier, il est engagé dans un hôtel voisin où le patron,«merveilleux»,lui donne la chance de quitter la plonge pour le service.

S’ensuit un poste à Leysin à l’hôtel Central Résidence où Martin Santos occupera les postes de portier d’étage, réceptionniste, responsable de la piscine, ou encore chauffeur des artistes. C’est durant sa période comme portier de nuit qu’il se met à écrire. «C’était juste pour ne pas m’endormir. Et j’ai commencé à raconter l’histoire de ma vie à la troisième personne…» Il a alors une trentaine d’années, et sa vocation est née.

«Je n’ai jamais su ce que je voulais faire, avant de me mettre à créer…», dit-il. Mais la publication de ses deux premiers livres ne se fera pourtant que 25 ans plus tard. Des années, où il exerce divers métiers dont notamment «homme de confiance » pour une bijouterie. Moment d’adrénaline : le transport de perles pour plus d’un million dans un sac en papier de la Migros, histoire de passer inaperçu…

 

Suisse avant d’être portugais

 

Si Martin Santos a l’accent et le sourire du Sud,et s’il écrit en portugais malgré sa très bonne maîtrise du français, il dit se sentir aujourd’hui plus suisse que portugais. C’est au moment de son serment pour l’obtention de la nationalité qu’il décide de changer de nom, une manière d’occulter les souffrances de son enfance. Manuel da Encarnação Santos devient Martin Santos.Il ne coupe pourtant pas les ponts. Il a construit une maison au Portugal et y a déjà édité ses 4 premiers livres. «J’ai déjà deux autres livres au four», prévient-il. Son rêve: être traduit et distribué plus largement que dans la région de son adolescence. En toute humilité et avec le sourire, il souligne: «Mais je sais que je serai toujours un petit écrivain… d’un mètre 63.»

 

Aline Andrey